Ombre invisible.

La pleine lune pointe son nez dans les ténèbres obscurs des cieux. La pâle lumière vient frapper le sol pour l'éclairer comme en plein jour, révélant à divers endroits des détails qui auraient pu nous échapper en pleine journée. Le regard affûté de l'ombre parcourt les lieux avec facilité et efficacité, sondant avec patience la moindre parcelle de terre utilisable pour son avancée méthodique. Accroupie en une parfaite immobilité, sa silhouette est cassée par les taillis et arbres devant lui. Sa respiration est lente, chaque expiration devenant atrocement longue pour que les voluptés de fumées blanches s'échappant d'entre ses lèvres ne deviennent pas visibles. Par instant, quelques nuages épais viennent s'emparer de la lueur lunaire, replongeant les environs dans les ténèbres, son élément. Avec concentration, l'homme patiente encore un peu. Il laisse la lumière revenir jusqu'à ce qu'un nouveau nuage vienne prendre le relais.
Dans une détente puissante mais étrangement silencieuse, il effectue un saut et roule sur le sol jusqu'à atteindre l'un de ces arbres finement taillés, signe de la richesse des Maledent. Son mouvement est parfait, orchestré avec une telle précision que le frottement ne lui ait pas perceptible, même pour lui. Se redressant lentement, il aperçoit la lumière des torches et des lampes inondant les salles de ce château. C'est un fléau pour un homme de l'ombre, pour un novice. Mais lui est un expert, si ce n'est un dieu. Des années d'expériences, un entrainement continue, recherchant le meilleur en tout temps et en tout lieu.
Enveloppé de sa combinaison de cuir serré, épousant parfaitement sa forme jusqu'à dessiner sur le noir les fines sculptures de ses muscles, rien ne peut le gêner dans ses mouvements. Toujours avec autant de concentration et de prudence, ses yeux d'aigle sondent l'édifice. Il aperçoit par moments des silhouettes sombres passer devant les fenêtres. Son aptitude lui permet de déterminer en un temps-record si, selon sa corpulence et sa silhouette, c'est un homme ou une femme, et s'il était un danger. Pendant quelques minutes, Soap veille, vérifie, prépare. Et lorsque la lumière s'estompe à nouveau, il roule sur le coté, venant se réfugier derrière une petite haie.
Là encore il n'y a aucun bruit, pas même un souffle. La fontaine à eau au centre de ce somptueux jardin l'empêche d'entendre autre chose que l'eau clapotante. Cependant, il compte sur sa vue jusqu'à ce qu'il puisse s'éloigner de cet art. Il faut avouer que les Maledent ont du goût, ce jardin était tout aussi digne que ceux du Roy, mais son entretien devait couter une fortune.
Mettant cette pensée éclair de côté, l'homme avance en gardant une position accroupie. Sa souplesse est parfaite, lui permettant de s'abaisser jusqu'à raser le sol et se mettre à plat ventre. Avec aisance et une excellente discrétion, l'ombre invisible contourne la fontaine et va se placer sur la haie suivante.

Lenteur vaut précision, précision vaut vitesse.

Le temps s'écoule, les minutes passent jusqu'à atteindre une bonne heure. Soap finit par atteindre le bout du jardin, la lumière filtrant au travers des fenêtres venait rongé l'obscurité qui le couvrait jusque-là. Tel un fantôme, l'homme sort de sa cachette et se plaque contre le mur. Il rampe sous les fenêtres puis finit par atteindre une très belle porte en chêne finement sculpté. Ne perdant pas son temps à admirer cet art, il se redresse et se plaque contre le mur, là où le noir subsiste. D'une main lente et précise, il empoigne la poignée et la tourne avec une précaution et une douceur infinie. Au final, le battant résiste, indiquant qu'elle est fermée à clé. Une bonne chose...
Toujours aussi discret et lent, il s'agenouille devant la serrure et entreprend de la crocheter. Le complexe barillet, prouvant là encore le bon goût de cette famille, ne suffit pas à l'arrêter, et encore moins à le rendre bruyant. Lorsqu'il pénètre à l'intérieur, l'homme prend soin de refermer consciencieusement cette porte et de la verrouiller à l'aide de ses crochets. Au même instant, une voix résonne mais cela ne le fait pas paniquer, au contraire. Doucement, et avec une étonnante facilité, il part se cacher derrière une énorme plante verte, laissant les inconnus passer devant lui sans le repérer. Son regard acéré, par contre, imprime les visages afin de ne pas les oublier. En moins de dix secondes, il a déduis à leur façon de bouger, de parler, et de leur accoutrements, qui ils étaient, et ce qu'ils représenteraient pour lui.
Une minute s'écoule puis l'homme sort de sa cachette, suivant le chemin inverse que les deux personnes. Étrangement, il ne doute pas dans ses mouvements, semble connaître la direction à suivre. Son assurance ne vient pas d'un trop plein de confiance, mais plutôt de sa parfaite connaissance du Domaine Maledent.